La déclaration par les Nations unies d'une situation de famine dans deux régions de Somalie doit être un signal d'alarme, à la fois sur l'ampleur de cette crise mais aussi sur les solutions à mettre en œuvre pour empêcher que des personnes ne meurent de faim, aujourd'hui et dans le futur. Qu'est-ce qu'une famine et que faut-il faire pour éviter qu'elle ne se produise ?
La famine est un triple échec : échec de la production alimentaire, échec de l'accès à la nourriture et, enfin et surtout, échec de la politique des Etats et des bailleurs internationaux. Maigres récoltes et pauvreté rendent les populations vulnérables face à des pénuries alimentaires. Mais l'état de famine n'est atteint qu'en raison de politiques défaillantes. Ainsi, en Somalie, les années de guerre civile et de conflits ont largement contribué à créer les conditions propices à l'apparition de la famine.
Alors que la famine a été éradiquée dans le reste du monde, l'Afrique connaît aujourd'hui sa quatrième crise alimentaire de masse du XXIe siècle.
Qu'est-ce que la famine ?
Les Nations unies utilisent une échelle comportant cinq niveaux, appelée Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, IPC). Développé par des ONG, dont Oxfam, l'IPC permet de mesurer la sécurité alimentaire d'un pays. Le niveau 5 (Famine/Catastrophe humanitaire) est atteint lorsque plus de 2 personnes sur 10 000 meurent chaque jour ; que le taux de malnutrition est au-dessus de 30 % ; que tout le bétail est mort et qu'il y a moins de 2 100 calories et moins de 4 litres d'eau disponibles par habitant et par jour.
En octobre 2009, dans une note sur l'Ethiopie et les régions voisines, Oxfam posait la question : "qu'est-il possible de faire pour éviter que la prochaine sécheresse ne devienne une catastrophe humanitaire ?". La distribution humanitaire de nourriture sauve bien sûr des vies, mais elle n'est ni efficace ni rentable et ne suffit pas à aider les populations à affronter la prochaine crise.
Quand les Nations unies déclarent une famine, de nombreux décès sont déjà à déplorer. Nous ne pouvons que veiller à ce que l'aide soit acheminée rapidement et adaptée pour éviter un scénario encore plus dramatique. Mais il ne faut pas seulement se demander pourquoi y a-t-il famine, mais plutôt pourquoi cela se produit-il à nouveau ? Et comment empêcher la prochaine catastrophe ?
Les causes de la famine
La famine découle d'une combinaison de trois échecs :
- Echec de la production alimentaire : En Somalie, deux ans de sécheresse - une situation exceptionnelle, 2011 étant l'année la plus aride en 60 ans - ont provoqué une inflation record des prix alimentaires, alimentée par des prévisions sur les prochaines récoltes de moitié inférieures à la normale. Les taux de mortalité prématurée et de malnutrition sont si élevés que le pays est déjà dans un "état d'urgence permanent". Cette situation se retrouve dans d'autres zones de la région.
- Echec de l'accès à la nourriture : La sécheresse a décimé les troupeaux des communautés pastorales (le taux de mortalité animale s'élève à 90 % dans certaines zones), amputant encore leur pouvoir d'achat, le bétail constituant leur principale source de revenu. Qui plus est, la guerre civile qui frappe la Somalie a rendu quasi impossible le développement du pays ainsi que l'accès à des données fiables, précises et crédibles.
- Echec politique : Le problème sous-jacent à cette situation est l'incapacité du gouvernement somalien et des bailleurs de fonds à éradiquer la pauvreté chronique, ce qui a marginalisé les populations vulnérables et sapé leurs capacités à affronter les crises et les difficultés. Le pays souffre d'un manque de gouvernance et de sous-investissement dans les services sociaux et les infrastructures de base. Dans le même temps, les bailleurs ont réagi trop tard et trop prudemment. La réponse globale des donateurs mondiaux à cette crise humanitaire a été trop lente et inadaptée. D'après l'ONU, il faut un milliard de dollars pour répondre aux besoins immédiats. Jusqu'à présent, les différents pays n'ont promis que 200 millions de dollars, ce qui laisse encore 800 millions à fournir.
Comment cette crise se situe-t-elle par rapport aux autres crises alimentaires actuelles dans le monde ?
Cette famine est la situation d'insécurité alimentaire la plus grave dans le monde en ce moment, aussi bien en terme d'ampleur que de gravité.
C'est la première famine officiellement déclarée en Afrique depuis le début du XXIe siècle, alors que la famine a été éradiquée dans le reste du monde.
Qu'est-ce qui doit être fait ?
Pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, au XXIe siècle, nous avons la capacité d'éradiquer la famine. Pour cela, nous devons affronter les problèmes de fond :
- Solutions pour la production : Nous devons accélérer les investissements dans la production alimentaire en Afrique. Certaines régions connaissent des pénuries chroniques de nourriture, et le moindre petit accroc dans les récoltes peut avoir des conséquences terribles. Nous devons soutenir plus la petite agriculture paysanne et l'élevage pastoral (récolte plus résistantes, intrants moins chers, gestion des risques).
- Solutions pour l'accès à la nourriture : Nous devons réduire la pauvreté rurale en Afrique. Il faut augmenter l'aide et les investissements dans les infrastructures physiques (routes, réseaux de communication, etc.). Les politiques publiques doivent pallier les défaillances du marché jusqu'à ce que celui-ci soit plus stable (notamment par le biais de stocks alimentaires qui permettent de freiner la volatilité des prix).
- Solutions pour l'aide : D'une aide répartie de façon discrétionnaire, nous devons passer à une protection sociale garantie, par exemple en mettant en place une aide sociale pour les foyers pauvres afin de les aider à accéder à la nourriture au cours de l'année et des systèmes d'assurances, pour que de tels soutiens puissent automatiquement être déclenchés en temps de crise. Dans certaines situations, le versement d'argent peut être plus adapté que la distribution de nourriture, dans les zones où l'accès à la nourriture n'est pas problématique.
L'aide d'urgence est primordiale à l'instant présent, mais nous devons aussi nous demander pourquoi cette crise est arrivée et comment nous pouvons empêcher que cela ne se reproduise. Les signaux d'avertissements étaient visibles depuis des mois, mais le monde a mis du temps à réagir. Des investissements sur le long terme, bien supérieurs à ce qui est fait actuellement, dans la production agricole et le développement de base sont nécessaires pour aider les populations à affronter les faibles précipitations et pour s'assurer que cette famine sera la dernière dans cette région.
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Article publié en juillet 2011