Comment mettre fin au scandale de la fuite de capitaux africains qui se monte à un milliard de dollars par semaine
Depuis 30 ans, chaque semaine, l’Afrique perd en moyenne un milliard de dollars en flux financiers illicites. Selon Oxfam, des mesures radicales s’imposent pour renforcer au plus vite la transparence et la gouvernance, et ainsi mettre fin à ce scandale.
À l’occasion d’une table ronde publique qui a réuni jeudi 24 octobre des personnalités politiques, du secteur privé et de la société civile, Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam, a expliqué que l’hémorragie financière de l’Afrique – de l’ordre de 1 400 milliards de dollars pour la période 1980-2009, selon les dernières estimations de la Banque africaine de développement, soit 50 à 60 milliards de dollars par an – appelle une solution mondiale, pas seulement africaine.
Avec une perte de 732,8 milliards de dollars sur cette période, les pays africains exportateurs de pétrole sont les plus durement touchés, notamment le Nigeria, l’Égypte et l’Afrique du Sud, selon la banque.
Nouvelles ressources, nouveaux flux illicites ?
La découverte de nouveaux gisements de fer, de pétrole, de gaz, d’or et de charbon – pour une valeur estimée à 11 milliards de dollars rien qu’en Guinée, au Ghana, au Libéria, en Tanzanie et au Mozambique – risque d’entraîner une recrudescence des sorties illicites de capitaux africains, prévient l’Africa Progress Panel.
Oxfam et le Centre d’études africaines de l’Université d’Oxford ont organisé cet événement auquel sont intervenus notamment le ministre ougandais des Affaires étrangères, Sam Kutesa, le Haut-Commissaire du Ghana au Royaume-Uni, Kwaku Danso-Boafo, et l’ancien Premier ministre du Zimbabwe, Morgan Tsvangirai. Le directeur des études économiques de la Banque africaine de développement et des représentants de Rio Tinto, de la Fondation Ford et de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale ont également pris la parole.
Au point de départ
« La malédiction des ressources n’a jamais été aussi flagrante et, avec les découvertes quotidiennes de minerais en Afrique, il n’a jamais été aussi important d’y remédier, a expliqué Winnie Byanyima. Ces nouvelles découvertes considérables pourraient générer des dizaines de milliards de dollars d’impôts pour financer les écoles et les hôpitaux. Mais ce ne pourra être le cas que si ces nouveaux capitaux restent en Afrique. Trop souvent, ils se retrouvent à Zurich au lieu de la Zambie ou à Londres au lieu du Liberia.
« Nous sommes à un tournant dans les efforts pour réellement soumettre les industries extractives mondiales à un contrôle étroit et mettre de l’ordre dans leurs affaires fiscales. Le Ghana a fait coïncider les découvertes de minerais sur son territoire avec une nouvelle loi ambitieuse sur la gestion de ses recettes pétrolières. Au niveau régional, un code minier visant à protéger les droits des communautés locales est à l’étude au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et l’Union africaine a adopté sa "Vision du régime minier de l’Afrique".
« Des plans solides commencent enfin à se mettre en place. Nous voici donc sur la case départ. Nous devons à présent obtenir que toutes ces initiatives prometteuses soient mises au service des populations africaines. »
Des engagements pour plus de transparence
Le défi reste cependant de taille. La dernière enquête de Civicus révèle que nombre des nouveaux pays africains riches en ressources naturelles ne décollent pas du bas des classements mondiaux en matière de gouvernance.
Selon une étude du secteur extractif mondial, pour chaque dollar provenant de l’exportation du pétrole, les pays perdent de 11 à 26 cents en flux financiers illicites. À l’échelle mondiale, les industries extractives sont actuellement estimées à environ 3 500 milliards de dollars par an.
Pour Oxfam, le G8 a pris un bon départ cette année, en s’engageant à renforcer les normes mondiales de transparence dans les industries extractives, en approuvant l’obligation de divulgation des paiements et en marquant son soutien à I’Initiative volontaire pour la transparence dans les industries extractives (EITI). Les directives européennes sur la transparence et sur l’obligation de rendre des comptes, de même que la loi Dodd-Frank aux États-Unis, imposent aux compagnies pétrolières, gazières et minières de divulguer les sommes qu’elles versent aux gouvernements hôtes projet par projet ; Oxfam se réjouit de l’engagement du gouvernement britannique à mettre en œuvre ces directives en 2014. Autre bonne nouvelle : le Canada s’est également engagé à rendre obligatoire la divulgation des paiements au cours des deux prochaines années et devrait s’aligner sur les normes établies dans l’Union européenne et aux États-Unis.
« Des politiques intéressées au détriment des populations africaines »
Pour le Dr Nic Cheeseman, directeur du Centre d’études africaines, à l’Université d’Oxford, « l’importance des ressources naturelles ne cesse de croître pour le continent africain. Suite aux récentes découvertes de pétrole et de gaz en Afrique de l’Est et de l’Ouest, une question qui ne concernait que quelques-uns figure désormais au premier rang des préoccupations politiques de nombreux autres pays.
« Il ne s’agit plus seulement des "économies fondées sur les ressources" classiques – la RDC, le Nigeria et l’Afrique du Sud, précise le Dr Cheeseman. À l’avenir, le débat sur l’impact du pétrole et la malédiction des ressources concernera également le Ghana, le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie.
« La capacité des pays africains à gérer efficacement leurs ressources naturelles au cours des dix prochaines années est le grand facteur déterminant si oui ou non le continent parviendra à poursuivre sa fragile reprise économique.
« Nous devons redoubler d’efforts pour comprendre comment les pays africains peuvent mieux gérer leurs industries extractives. Mais ces efforts ne doivent pas uniquement porter sur ce que les États africains peuvent faire. Les entreprises multinationales et les gouvernements étrangers ont souvent mené des politiques intéressées au détriment des populations africaines.
« Si l’on veut assurer que les recettes pétrolières et gazières bénéficient aux populations africaines, il faut adopter une nouvelle approche tant au sein qu’à l’extérieur de l’Afrique.
De la transparence à la responsabilisation
Pour Mark Goldring, qui a prononcé l’allocution de clôture, « il faut à présent que les États-Unis et l’Union européenne ne tardent pas à mettre en œuvre leurs propres lois sur la transparence des industries extractives et que le Canada instaure la sienne. Les géants miniers que sont l’Australie et l’Afrique du Sud ont une belle occasion de montrer l’exemple aux pays du G20 dans ce domaine également.
« Mais la transparence n’est efficace que lorsqu’elle va de pair avec la responsabilité. Tant les entreprises que les gouvernements doivent être tenus responsables de la gestion des richesses minières de l’Afrique dans l’intérêt des populations africaines, insiste le directeur d’Oxfam. On ne peut pas compter sur les entreprises étrangères pour remédier à la mauvaise gouvernance. Le fait est qu’elles peuvent l’exploiter et c’est exactement ce que beaucoup continuent de faire. »
Contact
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- Matt Grainger, Responsable des relations médias, Oxfam : +44 (0)7730 680 837
- Maria Coyle, Chargée de relations presse, Public Affairs Directorate, Université d'Oxford : +44(0)1865-280534
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Blog par Winne Byanyima (en anglais) : Capturing Africa's missing billions and making it work for its people
Pour plus d'informations sur le travail d'Oxfam sur le thème des industries extractives, consultez les sites d'Oxfam Amérique (Etats-Unis) et Oxfam Australie
A lire, le rapport 2013 de l'Africa Progress Panel (en anglais) : Africa Progress Report 2013: Equity in Extractives
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