La production de denrées alimentaires mondiale suffit à répondre aux besoins de tous. Pourtant, la crise alimentaire continue de faire rage. La moitié de la nourriture mondiale est perdue ou gaspillée, et un milliard de personnes – soit près d'un individu sur sept – souffre de la faim.
Nos dirigeants auront bientôt la possibilité de mettre fin à cette situation. Lors du Sommet des Nations unies pour l'alimentation et l’agriculture (FAO), organisé le mois prochain à Rome, ils discuteront des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre la faim dans le monde. Les résultats obtenus jusqu'ici sont plutôt décevants. Sans un regain d'énergie, l'Objectif du Millénaire pour le Développement visant à réduire de moitié la faim dans le monde d'ici 2015 ne sera pas atteint. Ce qui n'empêche pas les dirigeants de s'engager à une éradication totale de la faim d'ici 2025.
Pour parvenir à ce résultat, les dirigeants doivent concentrer leurs efforts en direction des paysans pauvres, livrés à eux-mêmes face aux problèmes de la faim, de la pauvreté et du changement climatique. Sur terre, les ¾ des pauvres vivent de l'agriculture. C'est donc là que la lutte contre la pauvreté doit être menée en priorité. L'agriculture familiale est d'ailleurs la clé d'une augmentation de la production alimentaire mondiale, et ce dans un schéma durable capable de répondre au défi du changement climatique.
Davantage d'investissements
Les pays doivent investir davantage dans l'agriculture familiale et soutenir en particulier les femmes. Celles-ci jouent un rôle vital dans la sécurité alimentaire mais elles continuent de faire face à un accès réduit à la terre et aux services, et ont bien du mal à se faire entendre au niveau politique.
Les pays riches doivent soutenir l'agriculture des pays pauvres à hauteur de 20 milliards de dollars par an. Cet appui plafonne actuellement à 4% de l'aide au développement, soit un peu moins de 6 milliards de dollars. De leur côté, les pays en développement doivent également consacrer davantage de moyens pour soutenir le secteur agricole. A titre d'exemple, le Vietnam a investi massivement dans son agriculture lorsqu'il était en quête de croissance économique et de sécurité alimentaire. Il y a douze ans, le pays devait importer la majeure partie de son alimentation ; aujourd'hui, il est un grand exportateur agricole. L'année passée, la pauvreté au Vietnam est tombée sous la barre des 15% de la population, alors qu'elle atteignait encore 58% en 1979.
Cette année, le sommet du G8 a promis de consacrer 20 milliards de dollars sur 3 ans pour soutenir les paysans et les consommateurs des pays en développement. Un engagement qui semble généreux, mais qui équivaut en réalité à offrir 6 dollars par an aux individus souffrant de la faim. De nombreux donateurs souhaitent débloquer cette somme rapidement, sans paperasseries administratives excessives. L'initiative de L'Aquila, les résultats des sommets du G8 et du G20 ainsi que la rencontre, lors de l'Assemblée générale de l'ONU, entre la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton et le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, témoignent d'un intérêt renouvelé à s'attaquer à la crise alimentaire. Une évolution plus que salutaire.
Repenser l'agriculture
Mais dans un monde marqué par le défi du changement climatique, les problèmes de la faim et de la pauvreté ne peuvent être résolus en injectant de l'argent dans des fertilisants, des semences à haut rendement et des systèmes d'irrigation à grande échelle. Ces éléments sont certes importants, mais ils ne sont pas toujours durables et ne répondent pas nécessairement aux besoins de l'agriculture familiale. On ne peut tabler sur un accroissement de la productivité alimentaire en se contentant d'intensifier la production agricole industrielle. L'agriculture doit être entièrement repensée. Les pays pauvres et leurs agriculteurs familiaux doivent être au centre de ce processus. Les pays doivent investir dans les programmes de vulgarisation agricole et d'échanges paysans ainsi que dans des filets de sécurité sociale afin d'aider les plus pauvres à acheter de la nourriture locale proposée par les petits agriculteurs et vendeurs locaux.
Le changement climatique entraîne déjà d'importantes modifications dans les cultures saisonnières, spécialement sous les tropiques où vit la majorité des pauvres actifs dans l'agriculture. L'agriculture compte pour 14% des émissions totales de carbone. Modifier la façon dont les agriculteurs exploitent les terres et les forêts sera donc un élément décisif dans la réduction des émissions et dans l'appui aux populations affectées par les aléas climatiques. Les paysans pauvres ne peuvent assumer le coût de ces changements, et le financement de l'adaptation au climat constitue donc un élément crucial des négociations de Copenhague qui se tiendront en décembre.
Davantage de contrôle et de régulation
Outre un accroissement des investissements, il est nécessaire de disposer de meilleurs contrôles sur les spéculations extrêmes opérées sur les marchés de l'alimentation et des carburants. Les pays doivent parvenir à conclure un accord à l'OMC qui aille au-delà d'une correction des règles inéquitables et du « deux poids, deux mesures » qui prévaut dans le commerce agricole mondial. Il faut mettre en place de nouveaux systèmes d'information et des technologies appropriées aux femmes actives dans l'agriculture familiale. Il faut réguler l'activité des entreprises afin de s'assurer qu'elles agissent pour davantage de prospérité et de sécurité à l'échelle de la planète. Les pays en développement doivent pouvoir déterminer eux-mêmes leurs politiques afin de promouvoir une production et une consommation locales et durables.
Le Sommet mondial pour l'alimentation doit mettre les gouvernements face à leurs responsabilités et leurs engagements. Il faut établir un Registre International Public sur les Engagements afin d'assurer le suivi des engagements pris par chaque pays.
Enfin, il est nécessaire de mettre en place un nouveau partenariat mondial à même d'encadrer le pouvoir du G8, de garantir la participation des gouvernements et des sociétés civiles des pays pauvres, de développer des politiques mondiales et de coordonner le méli-mélo d'influences sur l'agriculture exercées par plusieurs agences de l'ONU, la Banque mondiale, le FMI, l'OMC et d'autres acteurs. Le Secrétaire général de l'ONU devrait prendre le leadership et développer un plan global d'action offrant un rôle politique majeur au Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale de l'ONU.
Le sommet de Rome se déroulera sur deux jours et demi. Durant cette période, 60.000 personnes mourront de problèmes liés à la faim, dont 70% d'enfants. Un fait qui, à lui seul, devrait pousser les dirigeants à avancer dans la bonne direction.
Signé par:
Jeremy Hobbs
– Directeur exécutif d'Oxfam International