Les pays d’Afrique de l’Est ont connu une croissance économique remarquable au cours des vingt dernières années et la pauvreté a considérablement diminué dans la majeure partie de la région. Mais le niveau d’inégalités reste élevé. Les richesses sont de plus en plus concentrées entre les mains d’une petite élite tandis que la majorité peine à satisfaire ses besoins les plus élémentaires, comme l’éducation ou la santé.
La pandémie de COVID-19, les invasions de criquets pèlerins et la crise climatique ont créé la pire crise économique que la région ait connu depuis des décennies. Des millions de personnes ont perdu leur travail et leurs revenus, ce qui a aggravé la pauvreté et l’insécurité alimentaire.
Pourtant, au lieu de taxer les plus riches, les gouvernements d’Afrique de l’Est envisagent dans les prochaines années de réduire drastiquement les dépenses en faveur des plus pauvres, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et de la protection sociale. Ces réductions aggraveront la crise économique, la pauvreté et les inégalités dans la région, mais il est encore temps de changer de cap.
La pandémie de COVID-19 a précipité des millions de personnes dans la pauvreté
En 2020, la plupart des pays d’Afrique de l’Est semblaient avoir été moins touchés par la pandémie de COVID-19, mais le nombre de cas et de décès a augmenté dans la première partie de l’année 2021, contraignant ainsi de nombreux gouvernements à réintroduire des mesures pour limiter l’épidémie. Les répercussions économiques de la pandémie ont également été dévastatrices. D’après les estimations, la région aurait perdu 15,7 milliards de dollars de PIB en 2020 à cause d’une croissance moins importante que prévu. Elle a également enregistré une baisse de 7,2 % du temps de travail, ce qui représente environ 10 millions d’emplois à temps plein.
La pandémie de COVID-19 a précipité des millions de personnes dans la pauvreté et aggravé considérablement les inégalités, mais les conséquences n’ont pas été les mêmes pour tou·te·s. Aujourd’hui, les 10 % les plus riches d’Afrique de l’Est gagnent l’équivalent moyen de 47 % du revenu national avant impôt, tandis que la moitié la plus pauvre gagne 13,3 %.
La situation s'est aggravée lors de l’invasion de criquets pèlerins qui ont détruit les récoltes et les pâturages en 2020. Les aléas climatiques comme les sécheresses et les inondations ont empiré cette situation, créant une insécurité alimentaire grave, en particulier parmi les communautés rurales et nomades.
La crise en chiffres
10 % |
Aujourd’hui, les 10 % les plus riches d’Afrique de l’Est gagnent l’équivalent moyen de 47 % du revenu national avant impôt, tandis la moitié la plus pauvre gagne 13,3 %. |
1 % |
Au Rwanda, les 1 % les plus riches gagnent 20 % du revenu national, soit près du double des revenus de la moitié la plus pauvre de la population. |
4 % |
À la mi-janvier 2022, seulement 4 % des habitant·es d’Afrique de l’Est avaient reçu un schéma vaccinal complet contre la COVID-19, contre 71 % de la population des pays riches. |
31 % |
Au Soudan du Sud, seul 1 % des enfants finissent leurs études secondaires, et seulement 31 % de la population a accès aux soins de santé. |
11 M |
D’après les Nations Unies, la pandémie fera 11 millions de nouveaux pauvres en République démocratique du Congo. |
Le poids de la dette et des déficits budgétaires
La COVID-19 a révélé que les pays d’Afrique de l’Est n’étaient pas préparés pour faire face à une pandémie. Lorsque celle-ci a commencé, la moitié de la population avait un accès restreint aux soins de santé, 90 % n’avaient pas de protection sociale et 80 % n’étaient pas en mesure de faire face à une pandémie, en raison d’une législation du travail insuffisante. La fermeture prolongée des écoles a interrompu l’apprentissage de millions d'élèves, notamment les plus pauvres qui ne pouvaient pas suivre les cours en ligne.
Depuis, la pandémie a lentement reculé, mais le risque d’un nouveau pic épidémique subsiste du fait des inégalités vaccinales. À la mi-janvier 2022, seulement 4 % de la population avait reçu un schéma vaccinal complet, contre 71 % dans les pays riches.
Pire encore, de nombreux gouvernements sont contraints de consacrer leurs dépenses budgétaires au remboursement de dettes croissantes, plutôt que d’investir dans des dépenses publiques. Même avant la COVID-19, le service de la dette atteignait des niveaux astronomiques dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est. Les gouvernements consacrent en moyenne cinq fois plus de dépenses au remboursement de la dette intérieure et de la dette extérieure qu’aux soins de santé, tandis qu’au Soudan du Sud, le service de la dette est 28 fois plus important que les dépenses de santé.
Des plans d’austérité à long terme
Durant la crise de la COVID-19, de nombreux gouvernements ont augmenté leurs dépenses de santé et de protection sociale. Mais ils adoptent à présent des plans d’austérité à long terme visant á réduire drastiquement les dépenses publiques, afin de limiter les déficits budgétaires et les niveaux d’endettement. Ces réductions sont encouragées par des organismes de prêts comme le Fonds monétaire international.
Neuf pays d’Afrique de l’Est prévoient de réduire leurs dépenses publiques annuelles de 4,7 milliards de dollars entre 2022 et 2026. En conséquence, ils ne pourront plus lutter contre l’aggravation de la pauvreté et le creusement des inégalités causés par la COVID-19. S’ils renonçaient à cette réduction, ils pourraient multiplier par quatre leur budget alloué à la santé d’ici 2026.
« À cause de ces coupes budgétaires, la région risque de sombrer dans une spirale sans fin de services sanitaires inadéquats, de structures éducatives médiocres, et de déclin économique, particulièrement néfaste pour les femmes et les jeunes qui ne seront plus en mesure de s’épanouir et de construire le futur dont le continent est capable. »
Lutte contre les inégalités : l’Afrique de l’Est à la traîne
La troisième édition de l'indice de l’engagement à la réduction des inégalités (CRII), lancé par Oxfam et DFI, classe 158 États selon leur engagement à réduire les inégalités. L’indice mesure les politiques gouvernementales et les initiatives prises dans trois domaines essentiels qui permettent de réduire de manière significative les inégalités: services publics, impôt progressif et droits des travailleurs/euses.
Les données montrent que la région de l’Afrique de l’Est est la troisième du classement au niveau du continent. En d’autres termes, l’engagement de ses gouvernements à réduire les inégalités est un tiers moins important que celui des gouvernements d’Afrique du Nord et d’Afrique australe, et représente seulement un tiers de celui des pays qui ont le fort niveau d’engagement au niveau mondial.
(uniquement disponible en anglais)
Une opportunité unique pour l’Afrique de l’Est de se reconstruire après la pandémie
L’Afrique de l’Est se trouve à une étape charnière. La pandémie a considérablement aggravé la pauvreté et les inégalités dans la région, et les coupes budgétaires post-pandémiques empireront la situation. Mais il y a une issue.
Une augmentation du taux d’imposition des plus riches et des plus grandes entreprises permettrait aux États d’Afrique de l’Est de consacrer plus de dépenses aux services publics et de réduire les inégalités, notamment en évitant que les personnes pauvres ne fassent les frais des politiques d’austérité. Cette mesure leur permettrait d’en finir à la fois avec l’austérité et avec la pandémie, tout en protégeant mieux leur population contre de futures pandémies.
Si les gouvernements d’Afrique de l’Est augmentaient leurs recettes fiscales de seulement 1 % du PIB, ils pourraient lever 4,9 milliards supplémentaires par an au cours des cinq prochaines années, ce qui représente une hausse annuelle de 77 % du budget de la santé.
La nécessité de reconstruire leurs pays après la pandémie offre aux gouvernements d’Afrique de l’Est une opportunité unique de répondre à l’attente principale de leur population : avoir un système économique plus juste. Ils pourraient, grâce à un allégement complet de la dette et à une augmentation de l’aide humanitaire, réduire drastiquement les inégalités et éliminer la pauvreté extrême d’ici 2030.