Près d’un tiers de la population sénégalaise a entre 10 et 24 ans, période au cours de laquelle la plupart des personnes deviennent sexuellement actives. L’éducation sexuelle reste toutefois extrêmement limitée au Sénégal, exposant par conséquent les jeunes aux grossesses non désirées, au VIH et à d’autres infections sexuellement transmissibles. Ils ne disposent que d’un accès restreint aux informations relatives à la santé, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive.
« Nous vivons dans un pays conservateur, parler de sexualité reste tabou. La plupart des familles et des enseignants ne sont pas correctement formés pour discuter de sexualité ou pour enseigner le sujet. Et les jeunes ne savent pas où obtenir des informations », explique Aminata Traore Seck, spécialiste en santé de la reproduction au ministère de l’Éducation du Sénégal.
Aisha*, 16 ans, étudiante au Lycée Yoff Village, est membre du club EVF (Éducation Vie Familiale) depuis trois ans. Elle discute d’éducation sexuelle et d’autres sujets en cours de sciences et lors des réunions du club EVF.
Le programme Connecting 4 Life (C4L), lancé en 2014 par Oxfam et Stop Aids Now en collaboration avec le ministère de l’Éducation sénégalais, a été conçu pour combler ce manque par le biais d’une approche innovante.
Il permet aux adolescent-e-s d’en savoir plus sur la sexualité, la santé reproductive et notamment la contraception, le VIH et le sida. Toutes les informations fournies aux jeunes tiennent compte du contexte social et culturel sénégalais. Le projet utilise Internet et les technologies de la communication pour communiquer sur le sujet grâce à des témoignages en ligne et des SMS avec des conseillers qualifiés.
Un espace de discussion sûr
Aisha*, 16 ans, et Mamadou Thioye Diene, 19 ans, sont tous les deux lycéens à Yoff, Dakar, et membres du programme Connecting 4 Life.
Aisha explique que les jeunes filles se posent beaucoup de questions concernant la sexualité, la puberté, les infections sexuellement transmissibles (IST), le sida... Elle vient d’une famille musulmane très traditionnelle et ne peut discuter d’aucun de ces sujets ni avec ses parents ni avec tout autre membre de sa famille. « Tous ces sujets sont tabous », confie-t-elle. Mais quand elle aura des enfants, elle entend discuter de sexualité avec eux car elle estime qu’il s’agit d’une question « importante pour leur vie ».
Pour Mamadou Thioye Diene, certaines des discussions les plus intéressantes concernent la manière d’aborder ces sujets.
Les jeunes hommes ont de nombreuses questions : comment éviter de contracter le sida, comment utiliser un préservatif, etc. Diene estime que les clubs EVF (Éducation Vie Familiale) à l’école, établis par le programme C4L, représentent un espace de discussion sûr. Impossible d’aborder ces sujets en dehors de ces clubs. « Je pense qu’il est essentiel de poursuivre le programme, afin de continuer à sensibiliser la population aux infections sexuellement transmissibles, qu’elle comprenne ce qu’est le sida et puisse en discuter. »
Pour trouver des réponses à leurs questions, nombre d’étudiant-e-s consultent « clickinfoado », le site web crée par Connecting 4 Life. Il fournit une plate-forme d’apprentissage en ligne qui améliore l’enseignement de l’éducation sexuelle ainsi que de compétences utiles à la vie quotidienne, pour permettre aux jeunes de prendre des décisions éclairées.
« Le site ‘clickinfoado’ utilise de nombreuses photos qui aident à mettre en contexte les réalités et implications sociales », explique Mohamed Aly Sonko, professeur de sciences au lycée Yoff Village et membre de C4L à l’école depuis trois ans.
Mohamed Aly Sonko, 37 ans, est professeur de sciences au lycée Yoff Village à Dakar et membre du programme Connecting 4 Life à l’école depuis trois ans. Il confie avoir remarqué des changements de comportements chez les lycéennes et lycéens au cours de ces trois années.
« Ils comparent ce que je leur enseigne en cours à ce qu’ils voient sur le site. Il est plus facile de retenir une leçon par le biais d’un film. Si vous enseignez de manière plus classique, ils n’apprendront pas aussi rapidement. Ces histoires les intéressent vraiment ».
« J’apprécie vraiment les programmes qui relient les problèmes au contexte véritable dans lequel les lycéens évoluent ici à Yoff. Ils peuvent en apprendre beaucoup sur la sexualité, mais la mise en pratique est en réalité bien différente. Obtenir de bons résultats scolaires ne suffit pas, il faut également apprendre à vivre en société. Ici, bon nombre de lycéens obtiennent d’excellents résultats, mais ont du mal à gérer certaines questions au sein de leur famille. »
Le programme C4L met en outre à disposition une ligne téléphonique fournissant des services ainsi que des informations gratuites « à la demande » sur la santé sexuelle et reproductive grâce à des conseillers, à qui les jeunes peuvent envoyer des SMS. Le service reçoit en moyenne 200 à 300 questions par mois.
« Nous recevons généralement de nombreuses questions traitant de la sexualité, des relations personnelles, des IST et comment les prévenir. Nous recevons le plus souvent des questions relatives aux menstruations, du type ‘que dois-je faire ?’, confie Aristote Mpombo, chargé du service. De nombreuses jeunes femmes à l’école sont quelque peu gênées. Elles n’osent pas poser de questions à ce sujet aux professeurs ou à leurs camarades. »
Le programme C4L dispose d’un service qui permet aux jeunes d’envoyer des SMS à des conseillers, qui travaillent trois jours par semaine à horaire variable et reçoivent entre 200 et 300 questions par mois.
« Le plus difficile pour moi est de prendre en charge les personnes victimes de viol par un-e membre de leur famille. C’est difficile de les aider, et c’est un sentiment d’impuissance qui nous gagne dans la plupart des cas. Les victimes doivent agir par elles-mêmes et nous devons les orienter vers les personnes qui pourront les aider. Mais nous ne pouvons pas intervenir directement. Nous n’avons qu’un seul numéro de téléphone, nous n’avons pas d’identité ni de bureau. »
Une attention particulière est accordée aux violences fondées sur le genre, le viol, les mariages forcés/d’enfants.
« C’est important d’expliquer aux filles que personne n’a le droit de les toucher de la sorte. Elles doivent apprendre qu’une fois peut suffire à les faire tomber enceinte ou à contracter le VIH. C’est pourquoi il est important de les sensibiliser à leurs propres droits afin qu’elles puissent se protéger », explique Carmen Padonou, responsable de programme à One World, une autre organisation partenaire du projet.
L’autre sujet de préoccupation concerne les grossesses précoces. Au Sénégal, lorsque les filles sont enceintes, elles ne peuvent aller à l’école. Peu - à peine 26 % - reprennent l’école après avoir accouché.
« Nous devons trouver un moyen pour qu’elles retournent à l’école, et nous menons campagne pour obtenir un soutien en la matière. Il y a trop d’obstacles à l’éducation des filles aujourd’hui, tels que les grossesses, les violences conjugales et les violences à l’école, les mariages arrangés etc. » confie Aminata Traoré Seck.
Pour y parvenir, les activités de prévention, d’éducation et de sensibilisation auprès des jeunes sont essentielles. À cet égard, le projet cherche aussi à se prononcer en faveur de ressources plus importantes et de meilleure qualité pour que les ministères de la Santé et de l’Éducation au Sénégal traitent de ces questions dans les écoles et adoptent des politiques plus progressistes en qui concerne les grossesses précoces chez les étudiantes.
* Prénom modifié