Les communautés de l’Est du Congo ne sont pas davantage en sécurité malgré la défaite du M23

Publié: 27th janvier 2014

Les communautés du Nord-Kivu et du Sud-Kivu continuent de faire face à des menaces quotidiennes de violence et d’extorsion de la part des groupes armés et des forces gouvernementales, malgré la défaite du M23, il y a deux mois.

Un nouveau rapport d’Oxfam intitulé « Un difficile équilibre » révèle qu’une grande partie des provinces orientales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu demeure sous le contrôle de divers groupes armés, dont beaucoup se sont déployés dans les vides sécuritaires créés lorsque les forces armées congolaises ont porté leur attention sur le M23. Les opérations militaires actuellement en cours contre les groupes armés risquent d’accroître les violences et les exactions commises à l’encontre de la population civile, en particulier dans les zones reculées.

« Nous sommes ballotés entre deux forces, déclare à Oxfam un homme d’Uvira, au Sud-Kivu – son nom n’est pas mentionné pour des raisons de sécurité. Je redoute que la situation empire si elles reprennent les combats. Mais qui seront les victimes ? Les gens ordinaires. »

Violences et exactions

Les communautés de l’Est du Congo font l’objet de violences et d’exactions – viols, passages à tabac et meurtres – qui s’accompagnent souvent de déplacements de population, de taxation illégale et de pillages. Ces sévices offrent l’occasion aux groupes armés ou aux pouvoirs publics de resserrer leur étau sur les communautés pour en tirer profit, que ce soit par des impôts illicites, des amendes arbitraires ou d’autres pratiques illégales. Dans certaines zones, ces formes d’extorsion ont été institutionnalisées, et des reçus sont même fournis pour des taxes illégales.

Des avancées positives

Néanmoins, les faits recueillis dans le cadre d’une enquête menée par Oxfam auprès de 1 800 personnes soulignent certaines avancées positives. Plusieurs communautés ont créé des « conseils de sécurité » réunissant les responsables locaux, les pouvoirs publics et la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC) afin d’identifier les voies et moyens de réduire les violences et les exactions. Dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo, au Nord-Kivu, auparavant sous le contrôle du M23, des personnes affirment que leur sécurité s’est considérablement améliorée et que l’accès aux champs et aux marchés est facilité, du fait qu’ils ne sont plus contraints de payer des taxes aux barrages établis à l’entrée et à la sortie des zones urbaines.

« Le M23 est resté ici un an. Depuis son départ, les gens peuvent commercer à nouveau, aller au marché, ils sont désormais libres de travailler. Plus personne ne nous importune, et les FARDC nous protègent », a affirmé à Oxfam une personne employée dans une administration, à Nyiragongo.

Le gouvernement affiche une certaine volonté politique d’éviter de reproduire les erreurs du passé. Les membres du M23 accusés de crimes de guerre n’ont pas bénéficié d’une amnistie générale, et des changements dans le commandement de l’armée ont entrainé des améliorations dans le comportement des troupes au cours de récentes opérations ; peu d’abus ont été rapportés.

Des groupes armés toujours à l'œuvre

Cependant, des opérations militaires sont toujours en cours contre plusieurs groupes armés dans les deux Kivus. Dans des régions plus isolées du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les communautés ont signalé à Oxfam que ces groupes avaient augmenté leurs prélèvements illégaux en novembre et en décembre 2013, dans la perspective de potentielles opérations militaires que les troupes de maintien de la paix onusiennes et l’armée congolaise mèneraient conjointement à leur encontre.

« Protéger la population civile des violences doit être la priorité des opérations, souligne Vincent Koch, directeur pays d’Oxfam. Mais il faut aussi mettre fin aux extorsions incessantes des groupes armés, car elles empêchent tout le monde de vivre convenablement, de nourrir sa famille. La vulnérabilité mise en évidence par cette enquête est extrêmement choquante ».

Protéger les plus vulnérables

L’enquête de cette année souligne que les communautés continuent de subir des violences, souvent du fait de l’absence de protection par l’État. L’un des groupes de discussion a raconté que les membres de l’armée les appellent « matope », le mot Swahili pour « boue ». Selon ce groupe, cela reflète bien le comportement de l’armée envers les communautés, qu’elle perçoit comme aisément manipulables et faciles à écraser.

De récentes évolutions, comme la fin du M23 et une coopération régionale accrue, ouvrent une fenêtre d’opportunité pour la paix dans l’Est du Congo. Mais rien ne garantit pour l’instant que cela suffira à mettre un terme à l’insécurité dans la région. Il est peu probable que la vulnérabilité des communautés change sans des efforts concertés de l’État pour protéger ses citoyennes et citoyens de la violence. Ces efforts doivent comprendre une présence étatique forte et effective au-delà des zones urbaines, l’engagement d’une réforme du secteur de la sécurité, à commencer par le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), ainsi que des initiatives gouvernementales visant à associer les communautés aux décisions qui les concernent.

« C’est un moment critique pour les Kivus. Certains signes montrent que la situation s’est déjà détériorée au milieu de nouvelles opérations militaires, avertit Vincent Koch d’Oxfam. Nous devons agir maintenant pour protéger les communautés des violences et des extorsions. Le gouvernement congolais, les Nations unies et la communauté internationale doivent se mettre à l’écoute des personnes prises dans le cercle vicieux de l’exploitation et des exactions et leur apporter des réponses. »

C’est un moment critique pour les Kivus.
Vincent Koch, directeur pays d'Oxfam en RDC
Oxfam

Notes aux rédactions

  • Le rapport Un difficile équilibre : en quête de protection dans l'est de la RDC est disponible en français et en anglais.
  • Il s’agit de la septième étude d’Oxfam sur la protection depuis 2007. Oxfam a interrogé 1 800 personnes au sein de 30 communautés affectées par le conflit dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, entre août et décembre 2013. Les participantes et participants ont donné leur point de vue sur les conditions de sécurité et sur leur protection dans un contexte de violence incessante, d’exploitation et d’omniprésence de groupes armés.
  • Ce rapport met en exergue l’exploitation économique continue des communautés isolées de l’Est de la RDC par les groupes armés, l’État et les autorités traditionnelles. Les violences et les exactions subies par les communautés étudiées, au quotidien, sont commises non seulement par les groupes armés mais aussi par l’armée nationale, la police et des notables locaux. Dans certaines zones, les personnes interrogées ont noté une augmentation de la violence et des exactions à la fin 2013, alors que les groupes armés se préparaient soit à déposer les armes, soit à faire face aux potentielles opérations militaires à leur encontre. Les communautés vivant à proximité des camps de désarmement ont également fait part d’une récente recrudescence des exactions.

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