C’est le silence au cœur du désert, des savanes et forêts du Sahel et de la Centrafrique. La musique a cessé, emportant avec elle l’allégresse des jours meilleurs. Que ce soit au Mali, au Niger, au Burkina Faso ou en Centrafrique, la peur est partout. Dans les villages, dévastés par les groupes armés, faisant fuir plus de 5 millions de personnes dans la région. Face à la montée du coronavirus, qui a déjà touché 5420 personnes et fait 219 morts dans ces quatre pays, suscitant la crainte et l'incertitude parmi la population.
Pour beaucoup de femmes, les partenaires de danse ont disparu. Les hommes en âge de travailler ont été tués par des groupes armés, ont disparu ou sont partis, ailleurs, en quête d’un avenir meilleur. Les femmes se retrouvent dans des situations extrêmement précaires, luttant pour leur survie et celle de leur entourage. Plusieurs portent les cicatrices d’un acte de violence ou d’un viol.
Nous sommes allées à leur rencontre. Déplacées, survivantes, héroïnes, elles sont des centaines de milliers, qui attendent que la musique reprenne dans leur vie. À défaut de chanter, il leur reste la voix. Pour raconter. Et l’espoir, pour imaginer un autre avenir.
« Mes enfants sont mon espoir car ils sont la source de ma vie. »
« Je m’appelle Victorine*, je viens du Centre-Nord du Burkina, du village de Dablo. Je fabriquais la bière de mil traditionnelle, brassée artisanalement, et cela me permettait de faire vivre toute ma famille. Depuis le décès de mon mari, je suis cheffe de ménage et à la tête d’une grande famille. La première fois que des hommes armés ont fait irruption dans mon village, j’ai perdu deux de mes frères et mon neveu. Les attaques se multipliant, j’ai dû fuir comme les autres, je suis partie sans rien pouvoir emporter et aujourd’hui je n’ai plus rien.
« Les fusillades, on peut les fuir. Mais une maladie que le vent apporte, c’est très difficile. »
Nous sommes hébergés comme tant d’autres chez une famille hôte. La nourriture manque terriblement, je ne peux pas manger tous les jours et sans aide, je ne pourrais pas y arriver. On nous a parlé du coronavirus. Cela a redoublé notre peur et tout a changé.
On ne peut plus se regrouper pour la distribution des vivres. Je me suis reconvertie en ramasseuse de gravier, que je revends pour pouvoir nourrir ma famille car les enfants comptent sur moi. L’eau est notre urgence numéro 1. Même dix bidons d’eau ça ne peut pas faire la journée, pour se laver, pour boire, pour l’hygiène.
Si la maladie finit, si le terrorisme finit, ce sera la paix. En tant que femme, je conseille mes belles-filles, mes enfants, mes petits-enfants, pour qu’ils cultivent la paix et la cohésion sociale. J’aurais aimé être agente de sensibilisation. J’irais sensibiliser les jeunes, les femmes, sur l’importance de la paix.
Mes enfants sont mon espoir car ils sont la source de ma vie. Dans un futur proche ou lointain, je me vois entourée de mes enfants qui ont réussi à l’école, qui m’emmènent en voyage visiter d’autres pays, et moi respirant l’air de la paix. Et là je serai heureuse. »
« Par peur de nous faire massacrer, nous nous sommes sauvés en pleine nuit avec nos enfants. »
« Je m’appelle Halima, je suis mariée et je viens du Niger. J’ai mis au monde sept enfants, trois sont morts, il m’en reste quatre à présent. Après l’horrible attaque de Chinagoder [le 9 janvier 2020], le camp militaire de Tiliwa, mon village natal, a été déplacé vers Ouallam, dans l’Ouest du Niger. Profitant de cette vulnérabilité, des hommes armés ont donné l’ordre aux populations de quitter immédiatement le village sous peine de représailles, après avoir battu un jeune villageois à coups de cravache.
« Les femmes enceintes tombaient et se relevaient sans cesse. Nous avons perdu de vue nos enfants. Les femmes et leurs maris ont été séparés. »
Par peur de nous faire massacrer, nous nous sommes sauvés en pleine nuit, emmenant avec nous nos enfants. Stressées, fatiguées, des femmes enceintes ont accouché en cours de route dans des situations d’extrême précarité. En l’absence de médecin pour couper leurs cordons, les nouveaux nés ont dû être enveloppés dans des pagnes avant d’être pris en charge.
A Ouallam, le site de personnes déplacées est saturé de monde. Au tout début, nous recevions régulièrement de l’aide. Mais les latrines sont en très mauvais état et elles débordent d’excréments, tandis que les animaux y ont accès, nous exposant à des risques de maladies graves. Nous sommes entassés par dizaines ou vingtaines dans des tentes et nos stocks de vivres sont presque épuisés.
Quand nous étions chez nous à Tiliwa, nous vivions bien et les femmes étaient très actives, nous exploitions nos jardins, et avions nos petits commerces. Aujourd’hui nous sommes obligés de vendre les feuilles de haricots pour le pâturage, piler des céréales ou vendre du charbon pour avoir au moins 100 francs (0,17 $) et nous acheter du gari**. Nous sommes contraintes de vivre dans la misère parce que nos hommes n’ont pas d’argent. »
« Au début, je ne m’en sortais pas mais ensemble, avec les autres femmes, c’est devenu possible. »
« Je m’appelle Tedy, j’ai 40 ans, je suis malienne, native de la région de Mopti dans le centre du Mali. A cause des violences, j’ai dû quitter mon village, et je vis aujourd’hui avec d’autres personnes déplacées qui ont connu le même destin, sur un site à proximité de la capitale.
Avant le conflit, je vivais de la vente de lait et j’étais également coiffeuse. Je prenais soin de ma famille et je parvenais même à faire des économies. Mais un jour, à cause des violences intercommunautaires de plus en plus graves, J’ai été obligée de fuir, de quitter notre maison avec mes enfants, n’emportant que mon téléphone et les vêtements que je portais.
« Je veux que mes enfants reçoivent une éducation digne de ce nom, qu’ils fassent aussi partie, un jour, de l'élite de ce pays. »
Peu après notre arrivée sur le site, j’ai été nommée Présidente des femmes déplacées car je parle le Bambara, la langue nationale, donc je peux facilement m’entretenir avec les autorités. Avec les autres femmes, nous avons décidé de développer des activités afin de gagner notre vie. J’ai obtenu le soutien nécessaire pour que nous soyons formées à la fabrication de savons, de teintures, à la pratique du henné traditionnel et de la coiffure.
A Bamako, il y a vraiment beaucoup de mariages et nous avons ainsi eu l’occasion de mettre en pratique ce que nous avions appris avec nos premiers clients. Comme d’autres, je suis mère de famille et je m’occupe seule de mes enfants. Au début j’avais commencé un petit commerce de condiments, ça marchait un peu, mais seule, avec mes enfants à gérer, je ne m’en sortais pas et j’avais dû renoncer. Ensemble, avec les autres femmes, c’est devenu possible.
J’ai du mal à imaginer l’avenir. Nous aimerions bien retourner chez nous mais le conflit persiste et nous avons peur de mettre la vie de nos enfants en danger. Je n’ai pas eu la chance d’étudier et le combat de ma vie, c’est que mes enfants puissent aller à l’école. C'est pour eux que chaque jour je trouve le courage de me battre et d’inciter d’autres femmes à le faire aussi, nous avons le devoir de guider nos enfants sur le chemin d’un avenir meilleur. Dans mes rêves, ce chemin c’est l’éducation et je vais continuer d’y croire et d’espérer. »
« J’ai intégré le comité de protection communautaire car je voulais soutenir les victimes. »
« Je m’appelle Sylvie, j’ai 31 ans. Je vis avec mon mari et mes cinq enfants dans mon quartier à Batangafo, non loin du site des déplacés où nous avons vécu un an. Les dernières années de conflit n’ont laissé que peu d’infrastructures, et beaucoup de personnes déplacées. Pour vivre, nous faisons des travaux champêtres. Je suis aussi bénévole dans un comité de protection communautaire à Batangafo, appuyé par Oxfam.
Quand les groupes armés ont brûlé ma maison en novembre 2017, j’ai tout perdu. Sur le site de personnes déplacées, j'ai vu des femmes et des filles effrayées d’aller chercher de l’eau ou de se rendre aux champs, de peur de se faire agresser ou violer sur le chemin.
« Les groupes armés choisissent leur cible. Le coronavirus, s’il vient à Batangafo, il détruira tout ce qui se trouve sur son passage. »
J’ai intégré le comité de protection communautaire car je voulais soutenir les victimes. Nous organisons des actions de sensibilisation sur les droits des femmes et des enfants et nous aidons les victimes de violences sexuelles ou physiques.
La plupart des cas sont des viols, des accusations de sorcellerie sur les vieilles mamans, ou des jeunes garçons torturés par des groupes armés. Nous les dirigeons vers l’hôpital, nous assurons un suivi et nous veillons à ce qu’ils ne soient pas stigmatisés.
Un jour, mon petit frère est venu à la maison avec Aimé*, un jeune de 26 ans. Je savais qu’il faisait partie des groupes armées, alors j’ai commencé à lui parler. Il a pris les armes par vengeance après que ses parents aient été tués par des groupes armés. Trois ans plus tard, alors qu’il était sorti de la brousse, je l’ai aidé à réaliser que même ses cinq jeunes frères et sœurs avaient peur de lui.
Ça l’a rendu triste, et il ne voulait pas mourir lors d’un combat comme certains de ses amis. Il a donc déposé les armes et continue à venir chaque semaine aux séances de sensibilisation du comité de protection communautaire. J'espère que ça servira d’exemple à d’autres jeunes combattants qui hésitent à regagner la ville. »
* Prénom modifié
** Le gari est une farine de manioc qui entre dans la composition de nombreux mets en Afrique de l'Ouest.
Ces récits ont été recueillis par une équipe de femmes, travailleuses humanitaires chez Oxfam. Ils sont illustrés par l’artiste Sophie Le Hire, qui vit au Sénégal depuis quatre ans et qui, dans sa démarche artistique, porte avec fierté la voix des femmes en particulier, qu’elle considère comme des « géantes ». En juxtaposant deux styles, elle illustre la réalité du présent et le rêve d’avenir de ces femmes.
Découvrez son processus de création dans cette vidéo
Oxfam au Sahel et en République centrafricaine
Oxfam et ses partenaires locaux apportent une aide humanitaire à plus de 400.000 personnes déplacées internes et communautés hôtes dans la région, en matière d’aide alimentaire, d’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement et pour protéger les plus vulnérables.
Nous travaillons également au côté des communautés dans des programmes de transformation des conflits afin de favoriser des dialogues transfrontaliers et l’inclusion des femmes et des jeunes dans la recherche de solutions aux conflits et de construction de la paix.