Entre les bombardements et les pénuries de carburant, de denrées alimentaires et d’autres biens de base, des femmes yéménites ont organisé une manifestation originale contre la guerre, mais aussi le manque de droits pour les femmes.
Bushra Al Fusail, photographe indépendante et militante des droits des femmes, est le cerveau de la campagne #BikeForYemen sur les réseaux sociaux. Cette campagne a appelé les femmes à parcourir à vélo la capitale déchirée par la guerre afin de protester contre le conflit, le blocus de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui empêche toute importation de carburant et d’autres biens de première nécessité, ainsi que contre les structures patriarcales qui marginalisent les femmes yéménites et restreignent leurs droits depuis trop longtemps.
« J’en ai eu l’idée lors de la première crise énergétique qui a frappé le Yémen, en 2011 », raconte la jeune femme de 28 ans.
Les progrès des droits des femmes stoppés nets
Avant que le conflit ne dégénère à la fin mars, les femmes étaient en bonne voie d’obtenir des avancées non négligeables avec la rédaction d’un projet de nouvelle Constitution comprenant plusieurs articles en faveur des droits des femmes. La guerre se poursuivant, les droits des femmes sont retombés dans l’oubli et les acquis s’effritent.
« Depuis l’aggravation du conflit, les femmes qui avaient connu des progrès avant la guerre, des femmes qui avaient un emploi et étaient autonomes, se soucient désormais principalement de leur propre survie et de celle de leur famille, affirme Bushra. C’est un retour à une époque que l’on croyait révolue, où il est difficile de subvenir aux besoins même fondamentaux de sa famille. Mais nous ne baisserons pas les bras. Nous continuerons à trouver des mécanismes d’adaptation ! »
Malgré l’enthousiasme manifesté sur les réseaux sociaux pour cet événement, seules 14 femmes sont venues le jour j. Quatre savaient rouler à vélo. Les autres leur ont apporté un soutien moral.
Quand faire du vélo est un acte courageux
Les photos de ces femmes à vélo, publiées pour faire valoir les droits des femmes dans le pays, ont soulevé un tollé. Des sympathisantes ont fini par retirer leur appui, tandis que nombre d’hommes et de femmes exprimaient leur colère sur leur propre page, accusant les organisatrices de détruire le tissu social du pays. Les uns ont taxé les participantes de mauvaises musulmanes, qui propagent les valeurs occidentales au sein de la société yéménite. D’autres ont envoyé à l’organisatrice en personne, à savoir Bushra, des messages affirmant qu’elle n’est pas une vraie femme, puisque les femmes ne peuvent pas rouler à vélo. Quelques personnes ont même affirmé que ce spectacle de femmes faisant du vélo était encore pire que la guerre.
Bushra n’en reste pas moins déterminée à relever le défi. « J’ai la conviction que les Yéménites l’accepteront petit à petit. Nous voulons étendre cette initiative à Taiz, Aden et d’autres villes.
« Mais d’abord, la guerre doit prendre fin. »
Deux jours après notre entretien, l’habitation de Bushra a été endommagée par une bombe qui est tombée à proximité, à Sanaa. Heureusement, Bushra et les membres de sa famille sont sains et saufs. Mais cela nous rappelle la gravité et l’imprévisibilité du conflit qui se déroule actuellement au Yémen.
Photos: Bushra al-Fusail